Abris de glace

Le dernier repas de Joël traduit en italien

Juste une ligne pour remercier l'équipe de Buran, pour avoir traduit en italien ma nouvelle "Le repas de Joël" et l'avoir publiée dans la revue.
Version en ligne ici:
http://www.buran.it/LA_CITTA/immaginario.asp?iframe=28
Et pour télécharger le PDF:
http://www.buran.it/LA_CITTA/pdf/ultima_cena_di_Joel.pdf
Pour ma part, je ne lis pas l'italien, mais si l'un d'entre vous a ce talent, qu'il n'hésite pas à faire le comparatif... et à découvrir le reste des oeuvres, piochées un peu partout dans le monde entier, qui ont été traduites ainsi et publiées.

Ceci n'est pas un blog

C'est juste un espace en ligne où laisser vivre leur vie à quelques textes et nouvelles écrits dans une vie précédente - que ceux qui aiment les blogs passent leur chemin, que ceux qui aiment lire tentent leur chance: ils sont les bienvenus.
Et s'ils y trouvent leur plaisir, le mien aura été de leur ouvrir la porte.

Le dernier repas de Joël

« Hep ! Joël ! Par ici ! On est là !

— Ohé ! Joël !

— Pousse tes fesses, le Pingouin, v’là Joël.

— Ça va, ça va. Pas la peine de brailler comme si c’était Jésus descendu de la croix.

— T’entends ça, Joël ? Paraît que tu descends pas d’la croix pour nous apporter la lumière comme on croyait tous. Ça c’est vache, hein les filles ? Tout un tas de pécheurs au désespoir, sans même parler des ravissantes pécheresses ici présentes...

— C’est vrai ça, Joël. Moi qui rêvais de te laver les pieds avec du parfum et de les essuyer avec mes cheveux...

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Maison à vendre

« Au revoir, monsieur Paoli. Et bonne chance ! »

J’ai dit merci au revoir.

Dehors, j’ai marché un peu pour m’éloigner avant de héler un taxi.

Quand je lui ai donné l’adresse, le chauffeur m’a regardé drôlement. Je me suis cru transporté dans un de ces films muets où les acteurs forcent leur jeu jusqu’à la caricature. Comme si cela ne suffisait pas, de petits textes pléonastiques accompagnent généralement les images en sous-titre, dans ce genre de vieux films ; eh bien, je m’attendais à voir apparaître en surimpression sur la mimique du chauffeur le cartouche IL EST éBAHI !, en lettres ourlées et gigantesques.

Mais c’était juste que j’avais perdu l’habitude de voir les visages exprimer autre chose que leur adhésion forcée à un masque morne et inexpressif derrière lequel se cachaient les émotions.
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L'ombre sur la jetée

Depuis quelque temps, j’ai pris l’habitude d’observer Catherine à son insu pendant qu’elle dort.

Cela a commencé de la même façon que bien des habitudes : presque fortuitement. Un peu trop de vin au dîner, trop de rires et de paroles à double sens ; ou bien trop de violence ensuite dans l’amour — ou pas assez.

Quand je me suis réveillé, il faisait nuit. Une vague lueur filtrait au travers des fentes des volets et venait mourir sur les lèvres de Catherine : la lumière de la lune rousse, ou peut-être tout simplement celle de la véranda que nous avions oublié d’éteindre — cela n’aurait pas été la première fois.

Sauf que cela faisait des semaines que nous n’oubliions plus d’éteindre la lumière de la véranda : en fait, nous négligions délibérément de le faire — et il m’arrivait de penser que cela faisait une énorme différence.
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Isabelle

Une barque descend le fleuve.
Sur l’eau infiniment immobile, la barque est immobile ; ou presque : parfois, son nez oscille légèrement comme pour se mettre en travers du courant. Mais ce n’est là qu’un frémissement, l’idée d’un mouvement plutôt que son ébauche. A peine la barque désire-t-elle pivoter vers l’une des berges, à peine songe-t-elle qu’il serait bon peut-être de piquer du nez vers le talus herbeux que les roseaux à la fois dévoilent et dérobent à sa vue, à peine imagine-t-elle la caresse soudaine de l’eau, cette sensation hypothétique provoquée par son hypothétique mouvement vers la berge, lequel lui rendrait enfin sensible le mouvement propre de l’eau — barque elle-même immobile à la fois emportée par le courant et par lui obliquement fuie —, à peine soupçonne-t-elle qu’un tel mouvement est possible... que déjà le fleuve immobile resserre son étreinte autour de ses flancs de bois immobiles. Le fleuve et la barque demeurent ainsi solidaires et pareillement l’un par rapport à l’autre immobiles - comme en eux-mêmes, chacun séparément, ils sont immobiles au sein du paysage également immobile qui défile de part et d’autre des berges, de plus en plus lentement à mesure que le regard s’élève et se perd dans les lointains immobiles de la plaine embrumée.
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Opium

« La jeune personne a été préparée. Elle vous attend. »
Comme la femme s’éloignait sans s’assurer que je la suivais, je gravis après elle l’escalier en colimaçon qui s’ouvrait sur le hall d’entrée, dérobé par une tenture sombre que j’avais remarquée à mon arrivée parce qu’un souffle la faisait frémir de temps à autre. Pendant tout le temps que j’avais attendu, qui avait pu durer entre une demi-heure et une heure, cette sorte d’épais rideau tombant sans pli jusqu’au sol avait remué ainsi trois ou quatre fois, comme si derrière on avait ouvert et refermé une porte. A chaque fois, ç’avait été un mouvement à peine perceptible, une lourde et brève ondulation suggérant que la tenture opaque, d’un brun très sombre tirant vers le noir, pesait un grand poids. Elle donnait l’impression non seulement d’intercepter le moindre rayon de lumière, mais d’étouffer les sons, d’amortir en sa masse et de retenir captives les vibrations de l’air. Quelles folles clameurs emprisonnait-elle de la sorte, à quels débordements de pure terreur avait-elle interdit de parvenir jusqu’à moi ? — cette question m’avait maintenu en alerte pendant toute mon attente, elle avait guidé mon angoisse dans le dédale opiacé de cette heure sans substance, vers ce rectangle obscur et parfait auquel s’était bientôt réduit l’univers.
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Roman noir

Si quelqu’un d’autre que moi lit ceci, c’est que je suis mort — assassiné. Il n’est donc pas exagéré de prétendre que ceci est en quelque sorte mon testament. Tout ce que j’ai à léguer, c’est une énigme ; ou deux énigmes qui n’en font qu’une, ou bien encore une suite infinie d’énigmes, dont la seule pensée tantôt me donne le vertige et endort ma peur pour un temps, tantôt redouble l’angoisse qui me poursuit depuis ce matin, la décuple, la multiplie à l’infini. Depuis ce matin, l’intensité de ma peur suit une courbe exponentielle. Elle s’alimente d’elle-même, selon le schéma infernal de ces chaînes de la chance qui en ce moment propagent dans toute la ville leurs vagues sans cesse grossies : un matin, vous recevez une lettre anonyme, généralement postée depuis une boîte tout aussi anonyme de la poste centrale ; à l’intérieur de l’enveloppe, la photocopie — ou la photocopie de la photocopie — d’un message laconique et terrifiant. Soit vous photocopiez à votre tour ce message en treize exemplaires que vous posterez ensuite à treize adresses choisies au hasard dans l’annuaire de la ville, soit vous vous exposez aux pires calamités. Mathématiquement, quelques semaines suffisent pour que le processus s’enfle jusqu’à inonder chaque boîte aux lettres de la ville de dizaines puis de centaines de messages tous semblables et semblablement terrifiants, cela n’a pas de fin.
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Par la fenêtre (4)

Petite insomnie du gel, des cathédrales allongées dans le flot moribond du silence et des convois funèbres...
Roulure endimanchée de neige artificielle et de suie, haillons de nulle forme et d’aucune tempête : somnolente, la longue reptation d’un jour asthmatique et suburbain quand sans fièvre il se traîne (agonisant sans douleur) vers la fétide tanière des champs et des plaines (en leur obscure froideur) et leur toison pourrissante d’arbres et de marais (asile des orgues lépreuses, des fraticelles, des pendus et des chênes mendiants)...
Tamis grossier jonché de pépites noires, de geais et de mésanges imaginaires (dégouttants de brume, leur rémiges blêmes balayant la ville dans un grand raclement étouffé, chiche et de vigueur à nulle ivresse), le ciel s’éparpille, se délite, dissipe sa poussière d’humide moisson, émiette sa langueur insane au-dessus de ma couche veuve de festins innombrables (tous cloués désormais à ce volet de grise insignifiance qui masque les échafaudages à corps multifides de pendule), l’émiette et la disperse jusqu’aux yeux cernés et lourds, flottants, du phonographe épars (vertige inquiet aux ailes translucides d’un cygne prisonnier d’une contrebasse).
Un vol de colombes empennées de froidure se fige lentement dans mes cheveux tissés de patience, gibet plus que caresse pour les doigts encrochés du vent jaloux de sa tombe, pour ses doigts chargés de bagues véloces de cristal fauve et de poignards pour l’écrin de mon regard comble.

Par la fenêtre (3)

A l’orée brumeuse des légions empanachées (sentinelles immobiles et mornes) des tours et des églises avec les nuages repus pour couvre-chef et les cheminées, les paratonnerres, les antennes pour plumet d’impassibilité ;
A la lisière des portails, à la fonte des grilles et des remparts assoupis sous le poids du silence horizontal, poids du marbre terne des visages, des portées inertes des chatons des nues endiamantées d’averses et d’avions triangulaires ;
Sur l’écritoire emperlé d’ennui, de bruine alanguie et veule, des vitraux et des fenêtres ;
Sur le duvet léger des miroirs ;
Sur le vieil argent des gouttières, goutte après goutte ;
Aux angles des pierres ;
A la patère des lichens pleureurs, du squelette tristement géométrique des croix vierges de leur crucifié et des arbres tentaculaires dans la pince à épiler de la bourrasque ;
Au porte-manteau bossu et paralytique des coudes faiblement métalliques des grues endormies et des parapluies, ténébreuses corolles de fleurs jamais à naître, mortes en l’humus des ondées voyageuses qui s’attardent, leurs basques prises au faîte du toit ;
Tout le long du lacis cendreux des rues et des petits boulevards reclus en leur infinie spécularité ;
Berger sans houppelande et sans chien mené par la transhumance des trottoirs vers l’abri de la pluie ;
- un mois hors de saison accroche une infinité de billets doux, de faux reflets, de larmes en gélatine pour bluette cinéfilmée, de grêlons tièdes : novembre fait son lit dans le mien.

Par la fenêtre (2)

Aux rosées troubles et délétères, frissonnantes, qui naissent au lobe duveteux des porches et des chapelles emblavées d’une solitude flamboyante et noire - j’appose mon œil, sec.
Au limon des fleuves automobiles qui façonnent, rugissants et souples comme des sangles d’acier, la chaussée et l’oreille des gares ; à la crépusculaire rutilance des astres ferroviaires, des comètes, des étoiles fileuses au flanc des horloges ; aux galaxies fracassées de la petite mort ; au galop du soleil sur le front humide des miroirs quand saigne mon poing dans leur ventre dur ; aux trous noirs que sur la mer (au delta du caniveau, la confluence d’une multitude de flaques illusoires) l’insomnie dessine, déchire, obstrue, puis découvre : taches éparses au gré de l’irrespirable carcan de nulle attache (prison de l’éveil) - j’appose mon œil, sec.
A son œil que l’horizon redoute, bleu et noir comme un incendie, comme une absinthe frelatée d’ambre et de musc, d’ambre gris et d’amère salive ; à son œil qui a sur ses crocs recourbés empalé les portes, les poignées de cuivre, les armoires, les chiens et l’orage : tout mon paysage ; à son œil - j’appose mon œil, sec.
Et le dévore.

Par la fenêtre

Opacité du temps meurtri par les poteaux télégraphiques ; de l’espace pris aux rêts des fils électriques et des oiseaux multipliés par avril...
Foulée du ciel en les nuages, la déchirure soudaine et prolixe du bleu liquéfie les sentinelles, le poids d’azur - bruire en les sentines désuètes de la romance, du charroi vertical.
Déjà, les clochers des usines ont pris dans leurs filets une immensité d’étoiles (cantharide d’insectes percés, volages) : rapt aux ailes de la nuit - aigles prompts à la chute (à la chute du jour), ils ont griffé le silence sur l’ongle du toit.
Les rails acérés luisent sous le ventre d’un tramway jaune.
Crisse l’espace au pas décidé de mon regard, étincelle hagarde !
Sacrifié au dard immobile de l’index, le vol honteux des passants, lourd et malhabile, comme une poignée de braises au vent des fossoyeurs et de l’éveil...
Choc (surprise éphémère) de l’œil contre l’horizon nouvellement enfanté par le froid d’avril : trop clair, acharné à la conquête - bruyante progéniture des cimetières aveugles.
Ritournelle infiniment morcelée des fenêtres et des gouttières, du soleil et de la fosse oblongue...
Eclats durs et mortels du gel en le verre écartelé sur la toile des araignées nocturnes ; aux carreaux tranchants d’un rapide miroitement par-delà la trame des échelles, le canevas des rigoles et les jeux des enfants ivres du vin de la boue...
Brisée en son milieu, la paresse d’un rayon d’outre-couleur oscille au cou des potences et dans le jardin des fleurs des étals des boutiques éventrées.
Et sur une couche d’ennui et de terreur aisés s’inscrit la trace immobile, le reflet concave (tombe quotidienne) d’une nudité familière et depuis longtemps rassasiée.
Dehors, par la fenêtre bleue de froid, l’amour se dévoile - et devient invisible.

Le potage de l'alphabet

Vous souvenez-vous, inspecteur, de la façon dont vous avez appris à lire ? Quel livre vous ouvrit le premier accès au signe ? Enfant, quelle lettre préfériez-vous ? Le O, dont la rondeur maternelle se referme sur l’angoisse première du cercle, ce labyrinthe parfait ? Le Q, peut-être, grâce auquel vous découvrîtes les délices de l’homonymie et de la transgression ? Ou bien, comme tant d’autres, fûtes-vous d’emblée séduit par l’S, par la parfaite adéquation entre sa forme serpentine et le monde de sifflements que suscite son énoncé ?
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Ritournelle

Il y a deux façons de raconter cette histoire ; aucune n’a ma préférence, toutes deux ont pour point de départ la même anecdote — véridique. Toutes deux ont trait à la mémoire de mon père. Mon nom est Ravel, comme le sien ; je suis le fils de Maurice Ravel.
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La longue traque de Siméon Errinersfeld

La longue traque de Siméon Errinersfeld trouva une fin inattendue dans la mort, le 16 janvier 1967, du chirurgien Adolfo Bioy Casares.
Ce fait divers ne trouva que peu d’écho dans la presse argentine. Moi-même, tout récent envoyé spécial à Buenos Aires à l’époque, et qui avais déjà tant à faire pour tenter de démêler un peu l’inextricable confusion qui accompagna la fin du péronisme, je ne dus mon intérêt pour cette affaire qu’à une coïncidence des plus ténues — c’est-à-dire, en fait, que je commis une erreur indigne du journaliste expérimenté que voyait en moi mon rédacteur en chef, en me précipitant sur le téléphone le plus proche pour annoncer à ma rédaction le meurtre de l’écrivain Adolfo Bioy Casares.
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Guimauve

Le corps humain, c’est de la guimauve.
La preuve c’est que si je tire assez fort et assez longtemps sur le lobe de mon oreille il finira par toucher par terre.
Je le sais, j’ai vu des négresses leur cou il était aussi long que la moitié de mon bras. C’est parce qu’on leur a mis des anneaux autour du cou pour le faire grandir. Tous les mois, on rajoute un anneau, depuis qu’elles sont toutes petites, alors forcément leur cou il s’étire.
Le problème c’est qu’il faut pas s’arrêter du tout sinon ça marche pas. Et c’est pas pratique de tirer sur son oreille avec une main et de manger avec l’autre.
Et en plus on peut pas le faire quand on dort. Je sais ce que je dis, j’ai essayé, c’est pas possible.
Et puis ça fait drôlement mal.
En plus à l’école ils se foutent de ma gueule.
Mais le pire c’est ma mère.
Elle dit pourquoi tu pleures ?
Alors je dis c’est parce que j’ai mal à l’oreille.
Alors elle dit fais voir c’est vrai qu’elle est toute rouge qu’est-ce qui t’est arrivé on t’a frappé à l’école ?
Alors je dis c’est parce que je tire dessus pour la faire grandir.
Alors elle dit c’est vrai que depuis une semaine tu n’arrêtes pas de la tripoter c’est quoi cette nouvelle manie ?
Alors je dis c’est pour la faire grandir.
Alors elle dit tu vas me faire le plaisir d’arrêter ça tout de suite.
Alors je dis si j’arrête elle grandira jamais.
Alors elle dit ne commence pas tes histoires stupides et arrête de tripoter cette oreille les oreilles ça grandit pas.
C’est comme ça que j’ai su que ma mère c’est une menteuse. En fait, elle veut pas que mon oreille grandisse. Chaque fois qu’elle voit que je tire sur mon oreille elle me donne une gifle.
Elle dit c’est pas bien de faire ça.
Pourquoi c’est pas bien ?
Et puis d’abord, qu’est-ce qu’elle en sait que ça grandit pas les oreilles ? Je suis sûr qu’elle a jamais essayé alors comment elle peut savoir hein ?
Ou alors, si elle a essayé sa mère à elle lui a fait arrêter. C’est pour ça qu’elle croit que ça grandit pas les oreilles. Parce qu’elle croit tout ce que sa mère lui dit.
Moi je dis que si. La preuve c’est que le corps humain, c’est de la guimauve.

Le monstre du grenier

« Papa, il y a un monstre dans le grenier !

— Ne dis pas de bêtises ! Et puis je t’ai déjà dit cent fois que je t’interdis d’y mettre les pieds.

à cause du monstre ?

— ...

— Tu vois bien qu’il y a un monstre dans le grenier !

— Arrête avec ça, tu veux ! Et que je ne te prenne pas à fureter là-haut, sinon gare ! »

Des monstres, à l’époque, il y en avait des tas.

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La Passion de frère Buil

Tolède, 1492.
Une pièce nue, humide, sans fenêtre. Dans un coin, une paillasse. Et sur cette paillasse, la barre d’ombre d’une forme humaine allongée.
L’homme ne dort pas. Ses yeux sans paupières sont grand ouverts dans l’obscurité, tournés vers le judas de la porte à peine visible.
De l’autre côté de la porte, il y a ce couloir que l’homme a si souvent parcouru, soutenu de part et d’autre par des hommes masqués qui le bâillonnent à chaque fois qu’un appel retentit derrière l’une des portes borgnes. Pendant qu’une main lui écrase la bouche, une autre le saisit à la nuque et l’empêche de tourner la tête dans la direction du cri.
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Drôle de jeu de rôles

Le héros de cette histoire, c’est vous — à moins qu’Anaïs n’en soit la véritable héroïne (pour les lectrices, remplacer Anaïs par Richard — vous effectuerez vous-même les corrections qui s’imposent).
Anaïs est un nom de guerre : un de ces travestissements qui tiennent lieu de pudeur aux mannequins de la haute couture et des couvertures de magazines. Le véritable prénom d’Anaïs, celui que lui reconnaît l’état civil et que lui ont donné ses parents, si elle en a jamais eu, c’est Florence. Mais ne vous avisez pas de l’appeler Flo une seconde fois : pour le coup, elle vous abandonnerait dans quelque ruelle solitaire avec pour tout baume, sur votre visage lacéré par des faux ongles d’au moins trois centimètres, l’ordure du caniveau.
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Infini

Le gel pétrifiait les silhouettes, faisait s’ébouler les dunes, réifiait le ciel, faisait onduler le capot des voitures, engluait le vent. La plage quasi déserte, les rues désaffectées, les magasins fermés, les vitrines vides, tout cela se hérissait de pointes et de piquants translucides. La mer. Un grand mouvement rond et plein comme un œuf. Un cocon immense. Les vagues qui s’enroulent et se déroulent, les tourbillons de l’écume. Le soleil tiède, la pulsation du ressac, l’eau, la paradoxale impression d’un monde protégé que fait naître l’immensité. Un morceau de verre. Une sorte de monocle, un tesson de bouteille. Quelque chose de dur comme du diamant, quelque chose d’incorruptible. Le reflet du soleil sur le verre reflété par l’émail. Encore un centimètre, encore un millimètre et l’univers tout entier sera rond comme un œuf.
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Promenade

A l’ombre lente des mornes ombrelles,
Tièdement, s’avancent les demoiselles,
La hanche un peu folle et le col gracile,
Si lasses, qui guettent, entre leurs longs cils
Le fol qui, peut-être, les trouve belles,
Qui, distraites, rêvent qu’elles sont futiles.

Et, loin du ballet des grêles ombrelles,
Le fol alangui contemple les belles,
Leurs longues boucles brunes, leurs longs cils,
Leur cheville nue, leur taille gracile,
Rêve qu’il embrasse les demoiselles,
S’exaspère à fuir leurs lèvres labiles.

A l’ombre lente des mornes ombrelles,
Tièdement, s’avancent les demoiselles
Et, loin du ballet des grêles ombrelles,
Le fol alangui contemple les belles.

Mais sur la toile la pluie malhabile
Disperse bientôt la ronde futile,
Et l’ombre lente des mornes ombrelles
S’indiscerne sous le voile si frêle

Des brusques pleurs et des belles qui filent...

Cadavre exquis

C’était plus facile qu’il ne l’avait imaginé. Il n’y avait qu’à coller les uns à la suite des autres les bouts de papier disposés en tas devant lui, sans tenir compte ni de la qualité du papier, ni de sa couleur, ni des personnalités différentes que trahissaient les divers styles et les diverses formes d’écriture. Bien sûr, le résultat de ces collages avait quelque chose d’un peu effrayant, avec ses lettres penchées tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt ramassées les unes contre les autres jusqu’à presque se confondre, tantôt dissociées et comme honteuses de leur solitude, tantôt bleues, tantôt noires, ou violettes. Par contraste, les quelques groupes de mots dactylographiés prenaient, à cause de leur unité de forme et de taille et de leur parfait alignement, l’aspect inquiétant de milices armées au sein d’une foule en tumulte. Oui, le résultat d’ensemble évoquait assez l’œuvre d’un fou hanté par une foule de démons aux voix discordantes et vociférantes occupés à se disputer la parole au sein d’une assemblée de sabbat.
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Clin d'oeil

Malgré l'agitation croissante autour de nous, les émeutes de plus en plus fréquentes dans les rues et les tavernes, et la folie meurtrière qui s'était emparée du peuple de Paris, nos travaux progressaient.Nous savions déjà que la queue d'un lézard continue de s'agiter de façon spasmodique plusieurs minutes après qu'on l'a coupée, et que les soldats mutilés ressentent encore la douleur dans leur bras ou leur jambe broyé de nombreux jours après l'amputation du membre blessé. Nous avions découvert qu'un rat auquel on avait coupé la tête continuait de claquer des mâchoires durant quelques secondes et que dans les hôpitaux les malades atteints de fièvre maligne continuaient de suer fortement après que leur cœur avait cessé de battre. Nous avions même constaté un regain de sudation trois minutes environ après la mort, qui cessait définitivement entre dix et quinze minutes plus tard selon les sujets.
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Patrie

Perché sur le sommet d’une automobile
L’enfant rongeait un os malpropre
D’un air de grande satisfaction
Lorsqu’il eut fini
Il emmena son réverbère
Avec lui

Radiophage

Brutale éphémère...
Pas de temps à perdre... et il sauta sur le marchepied rouge.
Nous savons bien qu’il n’en est rien, nous le savons bien...

Allez, ris ! jeune fleur...
Un autre que moi fera de tes pétales
de tes pistils
de ta corolle rouge
un tapis de pleurs. La lingerie
froissée
exhalait un dernier soupir, sur le sol épandue.

8.07 : à cette heure, Avignon, rose déjà, Avignon tirée de son soleil
par le cri rauque et véloce du fer qui va son chemin,
dans la paume un brugnon de chair tendre...

Nous savons qu’il n’en est rien, nous le savons bien...
Et pourtant l’oreille piétinée, le fracas
de la gare soulevée de terre...

Nous le savons bien ! Dans le coquillage de plastique,
La voix d’un inconnu qui pleure, qui pleure
et qui grince une autre catastrophe,
à l’heure du viol...

Nous le savons bien, nous le savons bien...
Encore un tas d’or, allons !...
nue, ses jambes croisées, comme vivante...
Et alors ?

Et alors ?...

Nous le savons bien ! Pourquoi toujours sans cesse encore une fois
de plus
Nous le savons bien...

Transit

Je marche dans Toulouse et le soir me poursuit à grandes enjambées jusqu’à la place du Capitole, où il me rejoint enfin pour m’accabler d’une soudaine paresse.
Là se rencontrent tous les chemins, et à jamais s’arrêtent les paralytiques de toutes espèces ; au-delà, la Garonne presse son ventre gras contre les berges désertes et sans cesse se tourne et se retourne dans son lit, sans jamais parvenir à trouver le sommeil. Elle promène partout sa mauvaise humeur de dogue boueux mais cette méchanceté affectée n’effraie plus personne — pas même moi qui viens d’arriver et hésite encore à m’en retourner.
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Distraction

Comme toujours chez Andréa, il y avait dans ces mots du bruit et de la fureur. Une rage simplette de se prouver à elle-même qu’elle existait à l’aide de phrases différentes. Indifféremment. Lui venait de se rhabiller, sûr de soi et de son emprise sur les femmes, un peu fatigué cependant par les exigences sensuelles d’Andréa. Mais il avait pris cette frénésie pour de la passion et cela flattait sa vanité. Il n’était pas inquiet, donc.
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Le ballon

Une vingtaine de gamins jouaient en bas de l’immeuble.
Ils se poursuivaient en poussant des cris perçants : « La passe ! Fais-moi la passe ! Hep ! Ici ! But ! ». Et le ballon courait de l’un à l’autre dans une ronde désordonnée.
L’un des enfants, un peu chétif et d’apparence timide, se tenait légèrement en retrait. Il hurlait aussi fort que les autres, mais jamais on n’envoyait le ballon dans sa direction. Et quand par extraordinaire il parvenait à le toucher, ce ballon, sa maladresse faisait qu’il le lançait hors des limites du terrain, ou qu’il tombait en mettant le pied dessus. Au bout d’un moment, las sans doute de se faire rabrouer par les autres joueurs, il s’écarta et se contenta de les regarder évoluer.
Le jeu se poursuivit un bon quart d’heure puis, soudain, le ballon s’en vint rouler vers lui.
Il s’élança pour le remettre en jeu, donna un grand coup de pied et l’envoya si fort que le ballon resta là-haut, suspendu dans le ciel, tournoyant dans le soleil.
Le jeu s’interrompit. Alors un des gamins se retourna vers lui et lui dit : « C’est malin c’que t’as fait là ! »

Poursuite

Le petit néant de nos étreintes
Est le père de cet enfant
Qui n’a pas de corps propre
Sinon comme tous les enfants
Un ventre où toutes les déchirures
Ont élu domicile
Le grand vide de notre lit
Qui ressemble à tous les autres
A enfanté une humble lassitude
Géniteurs de notre propre défaite
Le monde ne disparaîtra pas avec nous
Et nous ne sommes pas immortels

Speculum mundi

AUJOURD’HUI, j’ai mis du rouge sur du blanc ; et aussi un peu de jaune — 2 dragons labourant la neige ; 2 dragons que la neige ensevelit ; 1 cornet de GLACE vanille-fraise tombé dans la neige ; 1 soleil fondant sur la neige, vu par celui qui louche ROUGE et JAUNE ; de la neige peinte à la louche. Aujourd’hui, c’est mon 12e hiver.

En hiver, le carré rouge et jaune de la FENêTRE devient blanc — il devient BLANC : comme le soleil à midi. Sur les murs, j’ai mis du rouge et du jaune : le chevalier blanc regarde le dragon rouge et le jaune ; il fait 1 feu dans la neige ; il est blessé ; la neige flambe. J’ai fait ça sur les 3 murs — le 4e est 1 carré blanc : les 2 dragons regardent le chevalier ; ils regardent le FEU de neige ; la neige les ensevelit — le SOLEIL est tout en haut dans le ciel. Aujourd’hui, c’est la 3e fois que j’ai 4 hivers.

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Le chromosome Ulysse


La sonate Au clair de lune que diffusait une radio locale, le ronronnement ténu et monotone du moteur, le sifflement à peine audible de la respiration d’Inge endormie à côté de moi qu’un soupir plus profond — lassitude, contentement, apaisement de quelque rêve bercé par les mouvements de la voiture ? (il me semble qu’il est trop tôt pour que ce soupir un peu forcé puisse être imputé à la grossesse d’Inge : cela fait seulement trois mois que saint Janvier a cessé de se liquéfier, signe annonciateur de catastrophes inéluctables mais encore lointaines, et dont je cerne mal les changements qu’elles vont apporter dans mon existence au cours jusqu’alors des plus erratiques ; ma seule certitude est que ces changements me seront à coup sûr désagréables) — la respiration d’Inge qu’un soupir mystérieux venait ponctuer à intervalle régulier : tout cela se fondait dans un même murmure confus et indistinct, se mêlait, s’indiscernait, annihilait en moi toute pensée.
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Abris de glace

Abris de glace: nous y cachons nos trésors les plus précieux - et dans ces prisons fragiles s'entassent débris de glace et broutilles.
Ce blog abritera bientôt quelques textes et nouvelles écrits il y a quelques années, et peut-être d'autres encore si la fièvre d'écrire me reprend. Et si l'envie vous prend de briser la glace, qui sait ce que nous verrons se refléter dans ces fragments?