Abris de glace

La longue traque de Siméon Errinersfeld

La longue traque de Siméon Errinersfeld trouva une fin inattendue dans la mort, le 16 janvier 1967, du chirurgien Adolfo Bioy Casares.
Ce fait divers ne trouva que peu d’écho dans la presse argentine. Moi-même, tout récent envoyé spécial à Buenos Aires à l’époque, et qui avais déjà tant à faire pour tenter de démêler un peu l’inextricable confusion qui accompagna la fin du péronisme, je ne dus mon intérêt pour cette affaire qu’à une coïncidence des plus ténues — c’est-à-dire, en fait, que je commis une erreur indigne du journaliste expérimenté que voyait en moi mon rédacteur en chef, en me précipitant sur le téléphone le plus proche pour annoncer à ma rédaction le meurtre de l’écrivain Adolfo Bioy Casares.
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Guimauve

Le corps humain, c’est de la guimauve.
La preuve c’est que si je tire assez fort et assez longtemps sur le lobe de mon oreille il finira par toucher par terre.
Je le sais, j’ai vu des négresses leur cou il était aussi long que la moitié de mon bras. C’est parce qu’on leur a mis des anneaux autour du cou pour le faire grandir. Tous les mois, on rajoute un anneau, depuis qu’elles sont toutes petites, alors forcément leur cou il s’étire.
Le problème c’est qu’il faut pas s’arrêter du tout sinon ça marche pas. Et c’est pas pratique de tirer sur son oreille avec une main et de manger avec l’autre.
Et en plus on peut pas le faire quand on dort. Je sais ce que je dis, j’ai essayé, c’est pas possible.
Et puis ça fait drôlement mal.
En plus à l’école ils se foutent de ma gueule.
Mais le pire c’est ma mère.
Elle dit pourquoi tu pleures ?
Alors je dis c’est parce que j’ai mal à l’oreille.
Alors elle dit fais voir c’est vrai qu’elle est toute rouge qu’est-ce qui t’est arrivé on t’a frappé à l’école ?
Alors je dis c’est parce que je tire dessus pour la faire grandir.
Alors elle dit c’est vrai que depuis une semaine tu n’arrêtes pas de la tripoter c’est quoi cette nouvelle manie ?
Alors je dis c’est pour la faire grandir.
Alors elle dit tu vas me faire le plaisir d’arrêter ça tout de suite.
Alors je dis si j’arrête elle grandira jamais.
Alors elle dit ne commence pas tes histoires stupides et arrête de tripoter cette oreille les oreilles ça grandit pas.
C’est comme ça que j’ai su que ma mère c’est une menteuse. En fait, elle veut pas que mon oreille grandisse. Chaque fois qu’elle voit que je tire sur mon oreille elle me donne une gifle.
Elle dit c’est pas bien de faire ça.
Pourquoi c’est pas bien ?
Et puis d’abord, qu’est-ce qu’elle en sait que ça grandit pas les oreilles ? Je suis sûr qu’elle a jamais essayé alors comment elle peut savoir hein ?
Ou alors, si elle a essayé sa mère à elle lui a fait arrêter. C’est pour ça qu’elle croit que ça grandit pas les oreilles. Parce qu’elle croit tout ce que sa mère lui dit.
Moi je dis que si. La preuve c’est que le corps humain, c’est de la guimauve.

Le monstre du grenier

« Papa, il y a un monstre dans le grenier !

— Ne dis pas de bêtises ! Et puis je t’ai déjà dit cent fois que je t’interdis d’y mettre les pieds.

à cause du monstre ?

— ...

— Tu vois bien qu’il y a un monstre dans le grenier !

— Arrête avec ça, tu veux ! Et que je ne te prenne pas à fureter là-haut, sinon gare ! »

Des monstres, à l’époque, il y en avait des tas.

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La Passion de frère Buil

Tolède, 1492.
Une pièce nue, humide, sans fenêtre. Dans un coin, une paillasse. Et sur cette paillasse, la barre d’ombre d’une forme humaine allongée.
L’homme ne dort pas. Ses yeux sans paupières sont grand ouverts dans l’obscurité, tournés vers le judas de la porte à peine visible.
De l’autre côté de la porte, il y a ce couloir que l’homme a si souvent parcouru, soutenu de part et d’autre par des hommes masqués qui le bâillonnent à chaque fois qu’un appel retentit derrière l’une des portes borgnes. Pendant qu’une main lui écrase la bouche, une autre le saisit à la nuque et l’empêche de tourner la tête dans la direction du cri.
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Drôle de jeu de rôles

Le héros de cette histoire, c’est vous — à moins qu’Anaïs n’en soit la véritable héroïne (pour les lectrices, remplacer Anaïs par Richard — vous effectuerez vous-même les corrections qui s’imposent).
Anaïs est un nom de guerre : un de ces travestissements qui tiennent lieu de pudeur aux mannequins de la haute couture et des couvertures de magazines. Le véritable prénom d’Anaïs, celui que lui reconnaît l’état civil et que lui ont donné ses parents, si elle en a jamais eu, c’est Florence. Mais ne vous avisez pas de l’appeler Flo une seconde fois : pour le coup, elle vous abandonnerait dans quelque ruelle solitaire avec pour tout baume, sur votre visage lacéré par des faux ongles d’au moins trois centimètres, l’ordure du caniveau.
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Infini

Le gel pétrifiait les silhouettes, faisait s’ébouler les dunes, réifiait le ciel, faisait onduler le capot des voitures, engluait le vent. La plage quasi déserte, les rues désaffectées, les magasins fermés, les vitrines vides, tout cela se hérissait de pointes et de piquants translucides. La mer. Un grand mouvement rond et plein comme un œuf. Un cocon immense. Les vagues qui s’enroulent et se déroulent, les tourbillons de l’écume. Le soleil tiède, la pulsation du ressac, l’eau, la paradoxale impression d’un monde protégé que fait naître l’immensité. Un morceau de verre. Une sorte de monocle, un tesson de bouteille. Quelque chose de dur comme du diamant, quelque chose d’incorruptible. Le reflet du soleil sur le verre reflété par l’émail. Encore un centimètre, encore un millimètre et l’univers tout entier sera rond comme un œuf.
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Promenade

A l’ombre lente des mornes ombrelles,
Tièdement, s’avancent les demoiselles,
La hanche un peu folle et le col gracile,
Si lasses, qui guettent, entre leurs longs cils
Le fol qui, peut-être, les trouve belles,
Qui, distraites, rêvent qu’elles sont futiles.

Et, loin du ballet des grêles ombrelles,
Le fol alangui contemple les belles,
Leurs longues boucles brunes, leurs longs cils,
Leur cheville nue, leur taille gracile,
Rêve qu’il embrasse les demoiselles,
S’exaspère à fuir leurs lèvres labiles.

A l’ombre lente des mornes ombrelles,
Tièdement, s’avancent les demoiselles
Et, loin du ballet des grêles ombrelles,
Le fol alangui contemple les belles.

Mais sur la toile la pluie malhabile
Disperse bientôt la ronde futile,
Et l’ombre lente des mornes ombrelles
S’indiscerne sous le voile si frêle

Des brusques pleurs et des belles qui filent...