Abris de glace

Cadavre exquis

C’était plus facile qu’il ne l’avait imaginé. Il n’y avait qu’à coller les uns à la suite des autres les bouts de papier disposés en tas devant lui, sans tenir compte ni de la qualité du papier, ni de sa couleur, ni des personnalités différentes que trahissaient les divers styles et les diverses formes d’écriture. Bien sûr, le résultat de ces collages avait quelque chose d’un peu effrayant, avec ses lettres penchées tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt ramassées les unes contre les autres jusqu’à presque se confondre, tantôt dissociées et comme honteuses de leur solitude, tantôt bleues, tantôt noires, ou violettes. Par contraste, les quelques groupes de mots dactylographiés prenaient, à cause de leur unité de forme et de taille et de leur parfait alignement, l’aspect inquiétant de milices armées au sein d’une foule en tumulte. Oui, le résultat d’ensemble évoquait assez l’œuvre d’un fou hanté par une foule de démons aux voix discordantes et vociférantes occupés à se disputer la parole au sein d’une assemblée de sabbat.
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Clin d'oeil

Malgré l'agitation croissante autour de nous, les émeutes de plus en plus fréquentes dans les rues et les tavernes, et la folie meurtrière qui s'était emparée du peuple de Paris, nos travaux progressaient.Nous savions déjà que la queue d'un lézard continue de s'agiter de façon spasmodique plusieurs minutes après qu'on l'a coupée, et que les soldats mutilés ressentent encore la douleur dans leur bras ou leur jambe broyé de nombreux jours après l'amputation du membre blessé. Nous avions découvert qu'un rat auquel on avait coupé la tête continuait de claquer des mâchoires durant quelques secondes et que dans les hôpitaux les malades atteints de fièvre maligne continuaient de suer fortement après que leur cœur avait cessé de battre. Nous avions même constaté un regain de sudation trois minutes environ après la mort, qui cessait définitivement entre dix et quinze minutes plus tard selon les sujets.
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Patrie

Perché sur le sommet d’une automobile
L’enfant rongeait un os malpropre
D’un air de grande satisfaction
Lorsqu’il eut fini
Il emmena son réverbère
Avec lui

Radiophage

Brutale éphémère...
Pas de temps à perdre... et il sauta sur le marchepied rouge.
Nous savons bien qu’il n’en est rien, nous le savons bien...

Allez, ris ! jeune fleur...
Un autre que moi fera de tes pétales
de tes pistils
de ta corolle rouge
un tapis de pleurs. La lingerie
froissée
exhalait un dernier soupir, sur le sol épandue.

8.07 : à cette heure, Avignon, rose déjà, Avignon tirée de son soleil
par le cri rauque et véloce du fer qui va son chemin,
dans la paume un brugnon de chair tendre...

Nous savons qu’il n’en est rien, nous le savons bien...
Et pourtant l’oreille piétinée, le fracas
de la gare soulevée de terre...

Nous le savons bien ! Dans le coquillage de plastique,
La voix d’un inconnu qui pleure, qui pleure
et qui grince une autre catastrophe,
à l’heure du viol...

Nous le savons bien, nous le savons bien...
Encore un tas d’or, allons !...
nue, ses jambes croisées, comme vivante...
Et alors ?

Et alors ?...

Nous le savons bien ! Pourquoi toujours sans cesse encore une fois
de plus
Nous le savons bien...

Transit

Je marche dans Toulouse et le soir me poursuit à grandes enjambées jusqu’à la place du Capitole, où il me rejoint enfin pour m’accabler d’une soudaine paresse.
Là se rencontrent tous les chemins, et à jamais s’arrêtent les paralytiques de toutes espèces ; au-delà, la Garonne presse son ventre gras contre les berges désertes et sans cesse se tourne et se retourne dans son lit, sans jamais parvenir à trouver le sommeil. Elle promène partout sa mauvaise humeur de dogue boueux mais cette méchanceté affectée n’effraie plus personne — pas même moi qui viens d’arriver et hésite encore à m’en retourner.
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Distraction

Comme toujours chez Andréa, il y avait dans ces mots du bruit et de la fureur. Une rage simplette de se prouver à elle-même qu’elle existait à l’aide de phrases différentes. Indifféremment. Lui venait de se rhabiller, sûr de soi et de son emprise sur les femmes, un peu fatigué cependant par les exigences sensuelles d’Andréa. Mais il avait pris cette frénésie pour de la passion et cela flattait sa vanité. Il n’était pas inquiet, donc.
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Le ballon

Une vingtaine de gamins jouaient en bas de l’immeuble.
Ils se poursuivaient en poussant des cris perçants : « La passe ! Fais-moi la passe ! Hep ! Ici ! But ! ». Et le ballon courait de l’un à l’autre dans une ronde désordonnée.
L’un des enfants, un peu chétif et d’apparence timide, se tenait légèrement en retrait. Il hurlait aussi fort que les autres, mais jamais on n’envoyait le ballon dans sa direction. Et quand par extraordinaire il parvenait à le toucher, ce ballon, sa maladresse faisait qu’il le lançait hors des limites du terrain, ou qu’il tombait en mettant le pied dessus. Au bout d’un moment, las sans doute de se faire rabrouer par les autres joueurs, il s’écarta et se contenta de les regarder évoluer.
Le jeu se poursuivit un bon quart d’heure puis, soudain, le ballon s’en vint rouler vers lui.
Il s’élança pour le remettre en jeu, donna un grand coup de pied et l’envoya si fort que le ballon resta là-haut, suspendu dans le ciel, tournoyant dans le soleil.
Le jeu s’interrompit. Alors un des gamins se retourna vers lui et lui dit : « C’est malin c’que t’as fait là ! »

Poursuite

Le petit néant de nos étreintes
Est le père de cet enfant
Qui n’a pas de corps propre
Sinon comme tous les enfants
Un ventre où toutes les déchirures
Ont élu domicile
Le grand vide de notre lit
Qui ressemble à tous les autres
A enfanté une humble lassitude
Géniteurs de notre propre défaite
Le monde ne disparaîtra pas avec nous
Et nous ne sommes pas immortels

Speculum mundi

AUJOURD’HUI, j’ai mis du rouge sur du blanc ; et aussi un peu de jaune — 2 dragons labourant la neige ; 2 dragons que la neige ensevelit ; 1 cornet de GLACE vanille-fraise tombé dans la neige ; 1 soleil fondant sur la neige, vu par celui qui louche ROUGE et JAUNE ; de la neige peinte à la louche. Aujourd’hui, c’est mon 12e hiver.

En hiver, le carré rouge et jaune de la FENêTRE devient blanc — il devient BLANC : comme le soleil à midi. Sur les murs, j’ai mis du rouge et du jaune : le chevalier blanc regarde le dragon rouge et le jaune ; il fait 1 feu dans la neige ; il est blessé ; la neige flambe. J’ai fait ça sur les 3 murs — le 4e est 1 carré blanc : les 2 dragons regardent le chevalier ; ils regardent le FEU de neige ; la neige les ensevelit — le SOLEIL est tout en haut dans le ciel. Aujourd’hui, c’est la 3e fois que j’ai 4 hivers.

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Le chromosome Ulysse


La sonate Au clair de lune que diffusait une radio locale, le ronronnement ténu et monotone du moteur, le sifflement à peine audible de la respiration d’Inge endormie à côté de moi qu’un soupir plus profond — lassitude, contentement, apaisement de quelque rêve bercé par les mouvements de la voiture ? (il me semble qu’il est trop tôt pour que ce soupir un peu forcé puisse être imputé à la grossesse d’Inge : cela fait seulement trois mois que saint Janvier a cessé de se liquéfier, signe annonciateur de catastrophes inéluctables mais encore lointaines, et dont je cerne mal les changements qu’elles vont apporter dans mon existence au cours jusqu’alors des plus erratiques ; ma seule certitude est que ces changements me seront à coup sûr désagréables) — la respiration d’Inge qu’un soupir mystérieux venait ponctuer à intervalle régulier : tout cela se fondait dans un même murmure confus et indistinct, se mêlait, s’indiscernait, annihilait en moi toute pensée.
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